jeudi 12 mai 2011

Alexander McQueen - Savage Beauty



2011, année McQueen. Le mois d'avril s'achevait sur le spectaculaire mariage de William et Kate, cette dernière révélant le jour même que sa divine robe "Grace Kellyienne" était l'oeuvre de Sarah Burton, créatrice officiant à la tête de la maison Alexander Mc Queen depuis la mort du couturier.
Et mai commença avec un gala spectaculaire au Costume Institute du Metropolitan Museum of Art, inaugurant autour d'un parterre de célébrités une rétrospective déjà qualifiée d'exposition de mode la plus ambitieuse jamais réalisée.

Ensemble, A/H 2010-11


Plus de 100 tenues et 70 accessoires entendent retracer les dix-neuf années de carrière du couturier anglais, qui a mis fin à ses jours en février 2010, quelques jours avant la présentation de sa dernière collection. 
On pénètre l'univers profond et sombre de cet artiste torturé, car oui, Alexander Mc Queen était bel et bien un artiste, utilisant la mode comme moyen d'expression. 
Ses défilés, véritables spectacles émanant d'une imagination débordante et aboutissant à de véritables mises en scène théâtrales en étaient déjà une preuve tangible : parmi les plus marquants, on retiendra la collection P/E 2005, "It's only a game" où les mannequins se déplacent au gré d'instructions robotiques sur un échiquier géant, ou la collection P/E 1999 se terminant par le solo de Shalom Harlow effrayée, tourbillonnant entre deux robots aspergeant de peinture sa robe blanche virginale.


L'exposition a ce mérite immense de rappeler le contenu de ces performances inoubliables ; un contenu qui s'avère non seulement sublime, mais qui ne se contente pas de son simple intérêt esthétique. Alexander Mc Queen a repoussé les frontières de la mode, il l'a questionnée, il l'a utilisée pour mener des réflexions sur la culture, l'histoire, la politique, ou l'identité. Une salle est consacrée à son "nationalisme romantique", présentant les collections "Widows of Culloden" et "Highland Rape", variations entre autres sur le thème du tartan et réflexion sur son héritage écossais, faisant face à la très poétique collection A/H 2008-09 "The Girl who lived in the tree", expression de sa fascination pour l'histoire anglaise.


"The Girl who lived in the tree",  A/H 2008-09, Copyright © 2000–2011 The Metropolitan Museum of Art. All rights reserved.

On déambule dans cette mise en scène comme dans une maison fantastique. La première pièce, inspirée du premier atelier de McQueen à Hoxton Square, nous offre une vision relativement austère du travail de l'artiste. Un décor brut accueille fraîchement une série de vêtements mettant en relief son savoir-faire technique de créateur. McQueen a commencé comme tailleur à Savile Row, et il lui tenait à coeur de maîtriser les techniques de coupe et de construction du vêtement, de manière à pouvoir adroitement les remettre en question.

Copyright © 2000–2011 The Metropolitan Museum of Art. All rights reserved.

Alexander McQueen aimait se définir comme l'Edgar Allan Poe de la mode. La pièce suivante, "Romantic Gothic", honore l'hommage que le créateur se faisait à lui-même : tapissée d'immenses miroirs piqués évoquant "La Chute de la maison Usher", elle présente des robes flirtant avec le macabre, sur lesquelles flotte un parfum de mort, telle cette robe de cuir et plumes épaulée de squelettes d'oiseaux.


"Eclect Dissect", A/H 1997-98, Copyright © 2000–2011 The Metropolitan Museum of Art. All rights reserved.


On pénètre ensuite dans un véritable cabinet de curiosités, ce qui fait entièrement sens au vu de son contenu, exclusivement issu des collections Alexander Mc Queen, ensemble d'accessoires fétichistes réalisés en collaboration avec Philip Treacy ou Shaun Leane pour ne citer qu'eux. On y croise un corset entièrement couvert de moules, des boucles d'oreilles plus grandes que le visage, des bijoux de mâchoire, et les mythiques prothèses de bois sculpté réalisées spécialement pour le mannequin Aimee Mullins, amputée des deux jambes, qui défila pour la collection P/E 1999.


Aimee Mullins, P/E 1999

Le fil conducteur de l'exposition, le romantisme byronien du créateur, s'exprime pleinement dans les salles suivantes, "Romantic Exoticism" et "Romantic Primitism".
Dans la première est dépeinte sa fascination pour les autres cultures, et se détache notamment son profond intérêt pour le Japon à travers une série de kimonos revisités. Mais une fois de plus, sa démarche va plus loin, et on la comprend à travers ses propres mots : "Je veux être honnête sur le monde dans lequel nous vivons, et mes convictions politiques transparaissent parfois dans mes créations. La mode peut être raciste, considérant les vêtements d'autres cultures comme des costumes... C'est banal, dépassé. Il faut faire tomber les barrières."


"It's only a game",  P/E 2005, Copyright © 2000–2011 The Metropolitan Museum of Art. All rights reserved.


Dans la seconde, il glorifie l'état de nature, et l'oppose délibérément à la civilisation. Son message passe notamment par une combinaison de latex dont il fait une déclaration sur la famine, par une robe-manteau confectionnée en cheveux, une autre en crin de cheval, et par une métaphore filée du règne animal, de la loi de la jungle qu'il semble vouloir appliquer à la vie humaine : "Dès que [l'animal] naît, il est déjà presque mort ; si vous avez de la chance, vous vivez quelques mois de plus, et c'est ainsi que je considère la vie humaine, tout le monde peut disparaître en un clin d'oeil, vous êtes ici, vous n'êtes plus là l'instant suivant... C'est la jungle !"

"Eshu", A/H 2000-01

Cette dernière affirmation prend un caractère prophétique au regard de la disparition brutale du créateur l'an dernier. Et c'est cette singulière atmosphère qui plane au dessus de l'ensemble de l'exposition, comme si toute son oeuvre avait été une préparation de sa propre mort, comme si Mc Queen nous livrait, par les vêtements qu'il créait, un peu de son âme et de sa mélancolie, comme s'il était présent et qu'il avait lui-même mis en scène ce magnifique hommage.


Alexander McQueen - Savage Beauty, Metropolitan Museum of Art, du 4 mai au 31 juillet 2011

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