jeudi 13 mai 2010

Un peu de cha...



Franchir la porte d’une maison de thé en Chine permet de comprendre la réalité qui se cache derrière l’expression « cérémonie du thé », une tradition ancestrale qui remontrait aux environs de 2730 av. J-C. La Chine était à cette époque gouvernée par l’empereur Shen Nung qui, selon la légende, buvait de l’eau chaude dans son jardin, sous un théier qui déposa une de ses feuilles dans sa tasse. Shen Nung huma cette infusion, en apprécia l’odeur et encore plus le goût, bien moins insipide que l’eau chaude qu’il avait l’habitude de boire…
Ou comment l’histoire poétique d’une feuille tombée d’un arbre dans une tasse impériale donna naissance à un mythe, un phénomène, et même aujourd’hui à un véritable business pesant plus de trois millions de tonnes annuelles. 

Les maîtres de thé Chinois se concentrent sur la minutieuse préparation et la dégustation. La théière (de préférence en argile rouge) et les petites tasses reposent dans un plat creux dans lequel seront vidées les eaux intermédiaires. La théière est d’abord ébouillantée. Les feuilles (une quantité pesée au gramme près) sont ensuite placées dans la théière et rincées avec de l’eau chaude, immédiatement vidée pour ne pas entamer la saveur du thé. Enfin a lieu dans la théière soigneusement fermée l’infusion, qui ne doit pas excéder une minute.


Ce procédé « de base » connaît une multitude de variantes toutes plus fascinantes les unes que les autres, qui diffèrent par exemple en fonction du degré de fermentation du thé utilisé.
Sous la dynastie Ming (1368-1644), le thé était préparé dans de grandes théières permettant de boire plusieurs tasses successives d’une même infusion ; avec l’apparition de thés plus raffinés, on découvre que la dernière tasse se fait plus amère, et sont alors mises au point des méthodes d’infusion plus sophistiquées dans des théières de plus en plus petites.
L’invention sous la dynastie Qing (1644-1911) de nouvelles techniques de fermentation donnent naissance notamment au Oolong (thé partiellement fermenté) et au Gongfu Tea, rituel d’infusion encore très populaire dans la province du Fujian, considéré comme étant la meilleure façon de déguster le thé Oolong. L’exécution du Gongfu Tea est la parfaite illustration de la traditionnelle cérémonie du thé, elle s’apparente au procédé décrit plus haut mais est en réalité bien plus minutieuse, voire complexe et laborieuse : le maître devra notamment répartir le thé sur un papier qu’il maniera entre ses doigts jusqu'à ce que les feuilles se regroupent par taille -les feuilles de taille différente ayant une intensité différente- avant d’être déposées dans la théière ; il prendra également soin d’ôter l’écume qui se dépose en surface de la dernière eau, et d’arroser l’extérieur de la théière d’eau bouillante pendant toute la durée de l’infusion ; il répartira le thé dans de minuscules tasses ne contenant que quelques gorgées, qu’il remplira successivement de quelques gouttes, à plusieurs reprises, pour que le degré d’infusion soit parfaitement égal dans chacune d’elles ; le raffinement est tel que l’eau est idéalement chauffée sur du charbon mêlé à des noyaux d’olive, et ce pour que la perfection de la cérémonie ne soit pas troublée par de mauvaises odeurs de combustion.


Certaines ethnies ont également inventé leur propre rituel de préparation.
Chez les nomades kazakh, le thé se fait au lait et se boit trois fois par jour –seuls les plus âgés ayant droit à un service additionnel au cours de la matinée ou de l’après-midi. Aux gens de passage ayant parcouru un long chemin, les nomades servent le thé au lait avec du mouton rôti, du miel, des nang (galettes de blé), des pommes… Apprécier ce festin, c’est signifier à son hôte que l’on passe un bon moment avec lui, que l’on se réjouit de ce partage.
Avant cela, ce sont les Mongols qui ont apporté en Chine à la fin du 13ème siècle la tradition de la crème dans le thé : bien loin du nuage de lait écrémé d’aujourd’hui, eux faisaient fermenter leur lait jusqu’à obtenir du fromage qu’ils écrasaient avec du gros sel et des feuilles de thé, avant de faire infuser ce mélange dans l’eau bouillante.
L’ethnie des Bai est quant à elle l’instigatrice d’une dramatique cérémonie en trois temps : la première eau (« bitter tea ») n’est cette fois pas jetée et symbolise la philosophie selon laquelle une belle carrière doit toujours débuter par une période difficile ; pour la seconde étape (« sweet tea »), l’hôte offrira à ses invités une version aux feuilles grillées, agrémentée de sucre roux et de fromage frais de vache ; enfin, la dernière infusion (« aftertaste tea ») sera composée de miel, de riz soufflé, de poivre sauvage, et de noix. Hautement symbolique, ce rituel est très important pour l’hôte et pour ses invités qui expriment en dégustant le thé leurs bons sentiments et leurs vœux réciproques.

 

Bien plus qu’une simple boisson chaude, le thé jouit en Chine de caractéristiques aux frontières du sacré. On lui confère un nombre incalculable de vertus, allant de la baisse de la pression artérielle à la diminution de l’impact de l’alcool et de la nicotine sur l’organisme, en passant par l’inspiration littéraire qu’il contribuerait à fournir notamment aux plus grands hommes de lettre chinois.
Les Chinois ont même leur Dieu du thé, Lu Yu, orphelin né en 733 et élevé par un moine bouddhiste, auteur du « Chajing », le premier traité de thé au monde, écrit en plus de trente ans d’une vie qu’il aura consacrée à l’étude de sa boisson préférée.

La cérémonie fascine, tant elle implique de concentration, de soin, de respect, et de culture. On ne versera plus, chaque matin à venir, l’eau trop bouillie sur notre vulgaire petit sachet avec la même indifférence qu’auparavant…



Photos réalisées dans la sublime maison de thé Lock Cha, 290 A Queen's Road Central, Sheung Wan, Hong Kong

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